Musée d'art moderne et contemporain de Saint-Etienne : l'art du mental



Mais que vient donc faire un musée d'art moderne dans une ancienne ville minière de tradition ouvrière ?
Petite enquête sur place...

Musée d'art moderne et contemporain de Saint-Etienne
Depuis son ouverture, en 1987, le musée d'art moderne et contemporain de Saint-Etienne a gagné ses galons de « musée pointu », proposant une sélection "de grande qualité". Son ouverture, en parallèle du développement de la cité du design et d'une biennale du design à portée devenue internationale, procède d'une volonté de la ville industrielle de se repositionner sur le secteur tertiaire.



Après une fin de XXe siècle difficile, aux perspectives économiques aussi noires que les "crassiers"(1) jonchant son territoire, la ville a finalement trouvé un moyen de sortir de la noyade vers laquelle l'avait entraînée la fin de la période industrielle. Ville de tradition minière également portée par les fameuses manufactures du début du XXe siècle, "les manu", et la célèbre maison Manufrance, la ville a dû affronter de plein fouet la période de désindustrialisation intensive de ces dernières décennies et son corrélat, l'hémorragie d'habitants (de 223.000 en 1968 à 177000 en 2006).

Une politique de la culture s'étant développée, tôt engagée par la construction de la cité de Le Corbusier, à Firminy, la ville a finalement tiré le fil de la culture pour se repositionner sur une nouvelle voie de développement.
Ambitieux, dans un univers ouvrier, où "un sou est un sou" et où la survie a souvent primé de génération en génération.

Sans doute est-ce la raison pour laquelle le musée d'art moderne et contemporain a-t-il été construit en périphérie de la ville, entre un Leroy-Merlin et un Décathlon, au beau milieu d'une zone commerciale de banlieue nommée La Terrasse. Sans doute est-ce aussi un véritable défi de s'y rendre si on n'est pas équipé d'un GPS vu que les panneaux indicateurs sont plus qu'hyper discrets.

Clairement, être véhiculé pour y accéder est une quasi obligation. Heureusement, le parking gratuit est grand au regard du nombre de voitures, tout de même conséquent pour un lundi vue la difficulté d'accès.

L'architecture du bâtiment est aussi froide et dépouillée que les abords. En cohérence avec les choix artistiques faits à l'intérieur, elle est censée faire écho au noir du charbon, en contraste avec le blanc de l’intérieur « pour mettre en valeur les œuvres d'art ». Typique des années 1980, cette architecture, au final, rappelle plutôt les nombreuses zones industrielles du coin avec leurs bâtiments tout en lignes droites, comme Bouthéon, par exemple, qui eut même son aéroport au temps de la splendeur économique du tissu stéphanois.

Le musée dispose d'un accueil agréable et d'un restaurant à la nourriture très fine et aux prix parisiens.
Ça se corse au niveau des collections d’œuvres d'art.
Soulignons le prix bas de l’entrée du musée (5,50€ plein tarif) dont on peut penser qu'il est destiné à rendre accessible à tous l'étalement de culture qui est fait dans les lieux.
Voire…

La première exposition d’œuvres d'art est magnifique et effectivement très bien mise en valeur par les immenses murs blancs. Il s’agit des vues très grand format du photographe coréen Bae Bien-U, "DANS LE PAYSAGE"*, tout en noir et blanc, signature de son travail.

Ses photographies de rivages, forêts, volcans ou végétaux emmènent le visiteur bien au-delà de la pièce dans laquelle elles se situent. Dommage que les équipes du musée n’aient pas saisi la subtilité propre à la culture du photographe, qui produit des images poussant à la contemplation et à la méditation. Des images « sensitives » qui se ressentent, donc, et déclenchent des processus très subtils chez leurs observateurs, sans doute de l’ordre de l’énergie. Elles interpellent et ne sont en aucun cas un appel à la réflexion, à la mentalisation, à la conceptualisation.

D’où le décalage perçu lorsqu’on lit le long texte de présentation qui se sent obligé de tout « décrypter » de la démarche du photographe, de l’expliquer, de la conceptualiser. Or, ces travaux artistiques-là ne s’expliquent pas, ils se ressentent.

D’où le décalage, sur les lieux également, de l'attitude de la guide et de son flot de paroles ininterrompu sur ce qu’a voulu exprimer l’artiste. Flot qui ne s’interrompt qu’au passage de visiteurs n’ayant pas souscrit à sa prestation, ce qui est un deuxième indice sur la réelle volonté du musée quant à l’accès de ses expositions au plus grand nombre. Les photographies de Bae Bien-U sont de celles qui se contemplent en silence. Tout au plus en musique.

Les autres expositions d’œuvres sont plus en phase avec les choix habituels du musée, du moins au plus hermétique : la névrose brillamment orchestrée de Nina Kovacheva avec ses dessins traités au pinceau, aériens dans le trait mais lourds dans ce qu’ils expriment, les « tables basculées avec des miroirs dessus »(2) de Michelangelo Pistoletto, la structure qui mange la salade de Giovanni Anselmo, qui date de 1968 et fait partie du mouvement de l’arte povera (l’art pauvre) : un pilier de granit, du fil de cuivre, de la sciure et une salade fanée posée dessus. Le tout, bien sûr, expliqué à grand renfort de textes, 3, 4 pages pour chaque artiste, qui traduisent les concepts en mots.

On ressort du musée perplexe. Dans une ville, un musée s’inscrit en lien étroit avec ce que la ville peut transmettre, son histoire, son « âme ». Quel est l’objectif du musée d’art moderne et contemporain de Saint-Étienne, précisément ? Faire connaître l’art contemporain ? Au plus grand nombre ou à une élite ? Pourquoi l’expression « art moderne » fait-elle partie du nom du musée alors que les collections choisies sont exclusivement contemporaines ? Pourquoi éluder l’art moderne alors que justement il s’inscrit comme courant dans une période forte de l’âme de la ville (1850 – 1950 grosso modo) ? Pour rester dans l’air du temps ? Mais l’art contemporain fait déjà partie du passé dans un monde ouvert en perpétuel mouvement. L’air du temps a changé.

Au final, le trait commun de toutes les œuvres d'art présentées  au musée d'art moderne et contemporain de Saint-Etienne est la conceptualisation, nécessité absolue de toute œuvre de l’art dit contemporain (3)(4). Ce que l’on pourrait résumer comme « l’art du mental ». Un « art du mental » à l’opposé de l’art joyeux, esthétique (au sens « harmonieux »), dégagé des lourdeurs intello qui ont littéralement explosé dans de nombreuses parties de la planète ces dernières décennies. D’où le succès sans précédent des galeries « new players » et des expositions et ventes d’œuvres d'art sur internet, signant une démocratisation sans précédent de l’art depuis le moyen-âge et la Renaissance.

Cela signe-t-il une fin annoncée à long terme des musées chargés de centraliser la diffusion officielle de l’art par des commissaires d’exposition formés dans des écoles pour ce faire ? Affaire à suivre…


(1) Comme sur ce blog nous sommes très respectueux des droits d’auteurs et que les images de Bae Bien-U ne sont pas libres de droits, nous ne les incluons pas dans ce billet. Vous pouvez les voir directement sur google : images de Bae Bien-U. (2) Traduction d’un visiteur sur place.

(3) Conceptualisation ou dénonciation sont deux critères de reconnaissance des œuvres de l’art contemporain.

(4) Qui nécessite grand renfort d’explications ou qui est réservée à une « élite » intellectuelle qui perçoit l’art comme un savoir à acquérir ou à penser.

(5) Les new players sont les nombreuses galeries qui sont nées directement sur internet sans passer par une matérialisation physique.




 
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