Du mythe de l'artiste maudit au mystère
de l'artiste caché ("mais qui est donc réellement
Banksy ?"), du musée à la
papa aux collectifs underground, de l'exposition dans un bar du fin fond de la
Cornouailles aux salles d'enchères New-Yorkaises, comment se repérer
dans l'univers artistique sans polluer ses perceptions de clichés
et autres idées toutes faites (et souvent toutes
fausses) accolés au monde de l'art ? Et d'ailleurs,
quelle est précisément
la différence entre monde et marché
de l'art ?
Pour qui n'est pas un habitué
de Christie's ou des soirées
de la jet set, autrement dit pour tout un chacun, le monde de l'art a souvent
l'image d'un univers nébuleux,
peuplé d'originaux
et autres allumés
fêtards et
bons vivants, qui traversent la vie en une joyeuse (ou triste) danse
d'expressions diverses (arts visuels, musicaux, etc) visant à embellir la planète d'un futile voile
esthétique...
Fumée - CC0 - public domain |
En réalité, le milieu
artistique tient plus de l'univers atomisé
que de l'univers nébuleux.
Déjà varié à travers
l'histoire, le monde de l'art est depuis le milieu du XXe siècle un univers en
expansion.
Par la conjonction d'une démocratisation
et d'une généralisation des
loisirs, de l'augmentation des niveaux de vie (1), de la disparition des barrières à l'entrée (par la facilité à produire, à vendre et à communiquer via
internet*), les acteurs du monde de l'art comme les initiatives artistiques se
sont démultipliés ces dernières décennies.
Du côté des acteurs, l'époque est loin où les artistes
fonctionnaient par la voie unique du mécénat, privé ou public. Depuis
la Rome antique où l'on
trouve les premiers protecteurs des arts et des lettres aux peintres de la fin
du XIXe siècle
en passant par l'époque
de Léonard de
Vinci, le modèle
était assez
simple. Un riche mécène prenait sous sa
protection, soutenait par son influence et par ses moyens financiers des
projets culturels ou des artistes.
En France, c'est le peintre Gustave Courbet, qui, semble-t-il,
fait le premier émerger
l'idée de
"l'artiste libre", indépendant,
en revendiquant une autonomie totale dans ses choix artistiques par rapport à ses mécènes. Le sujet de
l'artiste libre est encore aujourd'hui très
prégnant dans
les communautés
d'artistes et donne lieu à
de nombreux et vifs débats.
Gustave Courbet était
sans doute loin de se douter que sa démarche
se trouvait à l'aube
d'une vraie rupture mettant à
plat ce modèle
unique et ancestral du mécénat (qui pour
autant perdure aujourd'hui), qui donnait sa cohésion
au "monde de l'art".
A partir du début
du XXe siècle,
mais surtout après
la seconde guerre mondiale, l'avènement
du capitalisme pur et dur en modèle
mondial et quasi exclusif des échanges
embarque dans sa grande vague le monde artistique. Vient le temps des intermédiaires, galeries,
agents et autres "art dealers", maisons de vente et d'enchères. À partir de cette époque, le monde de
l'art (des artistes) commence à
se dissocier du marché
de l'art, tenu d'une main de fer par les professionnels de tous bords.
Dans le même
temps, le nombre d'acheteurs explose, passant de quelques centaines de milliers
de collectionneurs recensés
au début du
XXe siècle à plus de 70
millions aujourd'hui*. De quoi alimenter les appétits
des professionnels des transactions d'art.
Pour les artistes, de plus en plus nombreux, les temps
deviennent difficiles, de plus en plus, proportionnellement à la courbe de
concentration des flux de transactions entre les mains de grosses maisons
d'enchères
telles que Christie's ou Sotheby's, et de grandes galeries, essentiellement américaines,
lesquelles finissent par régner
en maître sur
les échanges.
Nous aurons l'occasion de revenir sur les pratiques douteuses de
ce marché de
l'art qui s'auto-régule,
s'autostimule, s'autocongratule et fixe les règles
en fonction de ses seuls objectifs financiers. Devenu pouvoir, ce marché, à l'instar de la religion et de son antithèse, la science, finit par élaborer son dogme
(2) dont il ne sort plus.
En interconnexion avec ce marché
(3), se trouve le monde de l'art, qui s'est, lui, littéralement atomisé au fil du temps :
la diffusion large des nouvelles technologies a fait exploser les frontières du temps et de
l'espace et permet un champ de vision littéralement
astronomique sur les innombrables créations
artistiques de toute forme à
travers la planète.
Et si le marché
de l'art et ses acteurs (intermédiaires
de vente mais aussi magazines et relais médias)
gardent un focus exclusif sur les artistes de leur sérail (les artistes intronisés par ce marché), vit en parallèle un monde de
l'art aux exceptionnelles richesse et variété. Un monde
accessible à qui
souhaite, pour peu qu'il prenne le temps d'explorer ce riche territoire de créativité et de productions
qui sont souvent le fait d'artistes humbles et exclus de la reconnaissance du
sacro-saint marché de
l'art.
Dans ce territoire, la frontière
entre "artiste" et "artisan" est ténue et l'art se définirait plus comme
une recherche, une exploration, un travail sur la matière, sur les formes, sur les couleurs,
sur la lumière
pour tenter de traduire dans le monde physique des perceptions, des ressentis,
des états ou
des sentiments... voire quelque chose de plus indicible.
C'est ce monde parallèle
vers lequel nous vous proposons de vous conduire, un territoire encore
largement inexploré ;)
*Voir le post Faut-il acheter une œuvre d'art dans une galerie ?
(1) dans
certaines zones géographiques
(3) Ou
plutôt
"ces" marchés, le marché de l'art regroupe de multiples composants...